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Entretien avec Alexis, d'aide-soignant dans l'armée à étudiant infirmier

C'est vrai qu'à un moment donné, je me sentais limité dans ce que je faisais, même si j'étais totalement épanoui dans mon job [...]. Pour autant, je me suis dit qu’à 27 ans, j'avais encore pas mal de choses à accomplir et que c'était certainement le moment de le faire avant de me poser davantage et peut-être d'envisager une vie de famille ou un projet beaucoup plus stable.

Maxime
Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir Alexis Bataille.
 
Alexis
Bonjour !
 
Maxime
Je suis ravi d’échanger avec toi. Nous avons eu l’occasion de discuter un peu hors antenne et on se connaît depuis déjà quelques mois. Est-ce que tu peux te présenter et nous expliquer ton parcours jusqu’à maintenant ?
 
Alexis
Tout d’abord, merci de m’accueillir sur ce nouveau podcast. Alors, je suis Alexis Bataille, bientôt 29 ans. Après avoir passé six ans dans les armées, plus particulièrement affecté au Service de Santé des armées, en qualité d’aide-soignant militaire, je suis maintenant étudiant en Soins Infirmiers en deuxième année de formation.
 
Maxime
Merci. Par rapport au parcours que tu as eu précédemment, peux-tu nous dire ce qui t’a donné envie de reprendre des études et d’aller vers le métier d’infirmier ?
 
Alexis
Tout d’abord, une volonté d’élargir mes compétences et de pouvoir poursuivre mes prises en charge. Puisqu’en tant qu’aide-soignant, la formation est ce qu’elle est et le métier d’aide-soignant exige un niveau de compétence qui se limite à un certain point.
Être infirmier, c’était donc : élargir le champ des possibles.
Et au-delà de cela, je pense qu’il est intéressant d’avoir cette double expertise à la fois d’aide-soignant et de futur infirmier, pour vraiment construire une démarche de soins intéressante et encore plus pertinente. Car ma vision des choses sera forcément plus experte sur les soins dits « de base », tout ce qui est soins d’hygiène et de confort, par rapport au cursus de formation initiale. Le fait d’avoir déjà réalisé ses soins au quotidien, pendant plus de six ans, me permet de développer une certaine acuité différente par rapport à un jeune étudiant en soins infirmiers ou d’un jeune infirmier diplômé.
 
Maxime
Très bien. Par rapport à ton passé d’aide-soignant, est-ce que tu peux nous décrire comment ça se passe en tant qu’aide-soignant dans un monde comme l’armée ?
 
Alexis
Tout d’abord, en ce qui concerne les affectations, il y a deux possibilités.
La première, qui est la principale, c’est celle d’être affecté dans un hôpital d’instruction des armées. À l’heure actuelle, il y en a huit en France. Lorsque je me suis engagé, il y en avait neuf et ma première affectation a été dans l’hôpital du Val de Grâce à Paris qui a fermé depuis.
 
Les aides-soignants militaires sont affectés dans des services habituels, au même titre que les services hospitaliers, donc en médecine, en chirurgie, en soins intensifs et en réanimation ou aux urgences. Les activités d’aide-soignant militaire, sur le fond, restent les mêmes activités que l’aide-soignant civil. Sur la forme, bien évidemment, plusieurs choses diffèrent, et notamment le fait d’avoir un statut militaire qui nous oblige à diversifier notre activité et d’avoir des compétences transversales puisque avant d’être soignant, on est avant tout militaire.
Ceci fait qu’il existe, en dehors de l’exercice hospitalier, des missions qu’on appelle des « opérations extérieures » à l’étranger, ou des « opérations intérieures » en France, ou sur le territoire français. Voilà un petit peu ce qui est à la fois ressemblant et différent par rapport à l’exercice civil.
 
Maxime
Et sur ce côté annexe aux soins que tu peux retrouver dans le service des armées :
Tu peux nous en dire un peu plus sur les formations complémentaires que tu peux avoir, sur le terrain, sur les différentes missions que tu as pu accomplir en dehors d’un service hospitalier proprement dit ?
 
Alexis
Alors moi, j’ai été recruté « sur titre », c’est-à-dire que j’ai obtenu mon diplôme d’aide-soignant dans un institut de formation civile, et je me suis engagé une fois que j’avais obtenu mon diplôme. Ce qui fait que, à la base, j’avais une formation de soignant, pas une formation militaire.
 
Il m’a donc fallu suivre une formation militaire initiale (FMI), qui dure quatre semaines à l’école de gendarmerie de Rochefort. C’est une formation qui permet surtout d’avoir une bonne connaissance de l’institution militaire et des grands domaines de compétences de la situation militaire.
Pour nous, en tant que soignants et, de façon plus générale, pour nous professionnels de santé, il est important de pouvoir se situer, de pouvoir interagir de façon coordonnée et adaptée avec d’autres militaires.
En règle générale, les professionnels de santé ont des galons d’apparence de Sous-officiers. Pour nous, aides-soignants, lorsque l’on commence, nous avons le galon d’apparence de Sergent. De ce fait, il faut savoir se situer vis-à-vis des autres militaires qui, eux, exercent des activités de combat et de terrain certainement beaucoup plus prégnantes que les professionnels de santé. Donc, ils attendent aussi un juste retour et une attitude militaire de notre part.
Ensuite, l’activité de soins est à peu près équivalente, même si le public diffère. Bien évidemment, dans les lits, on retrouvera beaucoup de camarades, donc des frères d’armes blessés ou atteints de certaines pathologies qui nécessitent un suivi ou encore des prises en charge aiguës chroniques, d’anciens militaires ou des ressortissants du Ministère des Armées et aussi des patients civils.
 
Et enfin, une fois que cette activité de soins sur le territoire français se réalise, il y a aussi l’activité de soins en « opérations extérieures. » Cette fois, c’est un peu plus spécifique puisqu’on est sur une activité de soins entre les soins de réanimation, soins intensifs et les soins d’urgence. Avec une grosse activité d’aide médicale à la population. Puisque l’armée française, l’institution militaire, se met toujours à disposition du pays dans lequel elle intervient. Et pour nous, notre fonction de soignants se réalise aussi via cette aide médicale à la population qui peut avoir, sur certains aspects, une valeur humanitaire.
 
Maxime
Est-ce que tu as eu, au cours de ta carrière, l’occasion d’aller sur des missions humanitaires ?
 
Alexis
Alors des missions humanitaires au sein des armées, ça n’existe pas puisque le rôle de la mission militaire, c’est de défendre les intérêts de la France ou d’aider un pays ami qui a des difficultés. Ce qui a été le cas lorsque la Guinée-Conakry a été frappée en 2015 par la pandémie du virus Ebola et que le président de la République française de l’époque, François Hollande, a décidé que le Service de santé des armées allait proposer son expertise au pays, en développant ce qu’on appelait un « Centre de Traitement des Soignants » installé à Conakry, capitale de la Guinée. Ce centre a été mis à disposition à la fois des ressortissants du pays, mais aussi des représentants des différentes ONG qui intervenaient en même temps que nous sur la gestion de la crise.
 
Et donc, nous avons traité des soignants contaminés par le virus Ebola. Et personnellement, j’y suis allé pendant quelques mois en qualité d’aide-soignant, donc avec une activité encore une fois de soins qui ressemblait à ce qui pouvait se faire en territoire métropolitain, tout en permettant de développer une expertise dans le domaine de la gestion du risque pandémique. Point qui s’est révélé intéressant puisque personne ne pourrait contester le fait qu’on est en plein dedans depuis un an, et que cette expertise s’est révélée essentielle et m’a permis d’être re-mobilisé à l’occasion de la pandémie de la COVID-19.
 
Maxime
Effectivement, c’est intéressant parce qu’on doit apprendre sur le terrain. Est-ce que tu as vu beaucoup de similitudes entre l’épidémie d’Ebola et l’épidémie de coronavirus que l’on connait ces derniers temps, du moins sur la manière de s’organiser dans les services ?
 
Alexis
D’abord, c’est la peur, la peur ! On est quand même face à des virus. En 2015, on était face à un virus qu’on ne connaissait que très peu et pour la COVID, qu’on ne connaissait absolument pas. Donc effectivement, sur les similitudes, on retrouve cette peur, cette peur d’être contaminé par quelque chose qu’on ne peut pas toucher du doigt, qu’on ne voit pas, qu’on ne perçoit pas. Et cette peur aussi, évidemment, de mourir à la suite de cette contamination.
 
Il existe des similitudes qu’on peut retrouver entre le virus Ebola et le virus de la COVID. Ce qui ouvre un champ des possibles en recherche : recherche médicale, recherche en sciences infirmières, en amélioration des pratiques professionnelles dans le domaine de la gestion du risque pandémique.
Et pour les différences, il y a cette gestion du risque pandémique et aussi la gestion de la clinique, car le patient contaminé par le virus Ebola est différent puisqu’on est quand même sur une contamination rapide avec des signes cliniques, digestifs pour la plupart. Ce qui n’a pas été le cas de la COVID-19, qui s’est plutôt concentrée sur une clinique respiratoire.
 
Maxime
Effectivement. Et du coup, pour revenir à ton expérience en Guinée. Comment ça se passe sur le terrain ? Dans quel contexte êtes-vous placés au niveau « sécuritaire » ? Comment vous êtes encadrés ? Dans quel milieu évoluez-vous ?
 
Alexis
Alors, nous sommes partis d’une page vierge. Quand je suis arrivé, le centre était déjà développé, mais on avait participé aux phases de préconception, si je puis dire. Le service de santé et l’institution militaire a mis les moyens. Nous sommes donc partis avec une logistique assez importante qui nous a permis de développer un laboratoire dernier-cri sur le terrain sous tentes, permettant de réaliser les PCR in situ sans aller chercher de prestataires externes.
 
Ensuite, sur le quotidien, on est à peu près sur les mêmes dispositifs que le patient en France, avec les mêmes règles de précautions standards et complémentaires. Le travail se fait en zone séquentielle avec un principe de marche en avant, qui n’admet pas de revenir en arrière pour récupérer quoi que ce soit, et de visiter les patients un par un, sans revenir en arrière également. Chaque patient à l’intérieur du centre disposait d’une chambre individuelle avec une surveillance H24 et la possibilité de nous contacter si besoin.
Ceci sous-entend, évidemment, que les professionnels de santé qui sont sur le camp soient réactifs et disponibles. Et puis ensuite, une fois que les soins sont réalisés, on passe à la phase de décontamination. Cette mission a donc été également soutenue par le deuxième régiment de Dragons, qui est expert dans la gestion du risque nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique, et qui a géré toute cette partie de la décontamination et de la prévention des risques.
 
Maxime
Je ne pensais pas qu’il y avait des missions aussi spécifiques, par corps d’armées, mais c’est très intéressant de voir que tout s’imbrique bien pour avoir un bon résultat final.
Après ces quelques années passées en tant qu’aide-soignant, à quel moment tu t’es dit « c’est maintenant, je me lance dans l’école d’infirmier » ?
 
Alexis
Je dirais d’abord, que c’est d’être au contact direct de mes collègues infirmiers qui m’en a donné l’envie. J’enfonce probablement une porte ouverte, mais le binôme AS/Infirmier, c’est quelque chose d’essentiel. Dans les armées, c’est un élément fondamental qui permet quand même d’assurer une certaine musicalité dans le quotidien de travail. J’ai pu assister de façon quasi continuelle aux soins infirmiers techniques, si je puis dire, et à la prise charge des soins infirmiers dans toute leur globalité. Bien évidemment, cela a attisé ma curiosité et ma volonté de développer mes compétences.
 
Comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est vrai qu’à un moment donné, je me sentais limité dans ce que je faisais, même si j’étais totalement épanoui dans mon job et que je ne le regrette pas. Pour autant, je me suis dit qu’à 27 ans, j’avais encore pas mal de choses à accomplir et que c’était certainement le moment de le faire avant de me poser davantage et peut-être d’envisager une vie de famille ou un projet beaucoup plus stable.
 
Maxime
Et là, du coup, une fois que tu es entré à l’école d’infirmier, est-ce que ça n’a pas été compliqué pour toi de changer de posture et de repasser du côté « apprenant » ?
 
Alexis
Difficile, non ! Mais ça reste tout de même un exercice qu’il faut apprivoiser parce que l’exercice du travail et l’exercice de stagiaire n’est absolument pas la même chose. Tout en sachant qu’entre les deux, il existe un fossé, le fossé de la théorie, et que lorsqu’on est professionnel de santé, même si on essaie toujours d’améliorer ses pratiques et de travailler de façon relativement organisée, avec le souci de bien faire et de respecter la plupart des grands principes du soin, il y a quand même toujours de mauvaises habitudes qui se prennent et qui perdurent.
Il a donc fallu que je re-décompose ma pratique et que je me replace dans une forme de rupture.
C’est-à-dire que tout devait m’étonner à nouveau. Ceci n’est pas toujours facile quand on a travaillé pendant plusieurs années. On a une forme de routine qui s’est installée et beaucoup de choses qui pouvaient nous déstabiliser au départ nous déstabilise un peu moins, parce qu’on a l’habitude de le voir. Alors qu’en fait, c’est quand même très intéressant de s’étonner à nouveau et très enrichissant de se poser de nouvelles questions sur sa pratique.
 
Maxime
C’est vrai que cette remise en question, que tu as eu dans cette reprise d’études, je pense que c’est très pertinent dans les services et c’est pour ça que c’est intéressant pour moi (dans tous les types de services) d’accueillir des étudiants, aides-soignants ou infirmiers, parce qu’ils sont là aussi pour questionner les pratiques en place. Et ça fait peur parfois, de se remettre en question !
J’ai été confronté à cela quand j’étais remplaçant infirmier dans une structure où j’étais en poste avec des étudiants infirmiers, et donc naturellement, tu fais ton tour à l’arrivée avec les prises de sang, etc. Et là, un étudiant infirmier m’a questionné sur ma manière de faire et c’est vrai qu’en fait, on prend vite des mauvaises habitudes. Y réfléchir permet aussi de prendre du recul sur sa manière de travailler.
Il faut dire aussi que, en parallèle de ta carrière d’aide-soignant et de futur infirmier, tu es aussi très présent au travers des réseaux sociaux et très impliqué dans la valorisation des métiers du soin.
Est-ce que tu pourrais nous parler un peu de ce qui te motive là-dedans, et comment tu essaies de mettre en place des pistes pour engager des changements ?
 
Alexis
C’est une grande histoire ! Ce chemin de valorisation des métiers du soin, ça a commencé par une page Facebook appelée « Dans le couloir – Pensées d’un Aide-Soignant », une page Facebook sur laquelle, chaque semaine, je rédigeais une petite chronique.
Cela faisait écho à la réalité de ce que je vivais, sous une forme un peu plus romancée, une forme narrative sympa.
Puis, progressivement, cette page Facebook a rencontré un petit succès. Elle a notamment intéressé un site communautaire connu : infirmier.com. Et Bernadette Fabregas, qui en était la directrice de rédaction paramédicale à l’époque, m’a contacté et m’a proposé de relayer cette page Facebook via le site infirmier.com. Donc chaque semaine, je publiais sur ma page et l’article était re-publié sur le site infirmier.com.
Et à partir de là, j’ai bénéficié d’une couverture beaucoup plus importante, ce qui a aussi amené d’autres lecteurs à rejoindre la page. Et puis, progressivement, l’aventure s’est développée avec un public qui a été à la hauteur de ce que je voulais, même si, à l’origine, je n’avais pas de prétention sur la médiatisation de cette page Facebook. Et puis, à l’été 2018, donc un an après, un éditeur m’a contacté pour me proposer d’en faire un livre, qui a été le premier que j’ai rédigé et qui s’appelle « Vous avez mal où ? Chronique d’un aide-soignant à l’hôpital ». Il s’agit un peu d’une synthèse de cette page Facebook qui reprend, pour l’essentiel, l’ensemble des anecdotes qui étaient publiées chaque semaine.
 
Bien évidemment, une petite médiatisation comme celle-ci permet de développer un réseau. En tout cas, cela suscite la curiosité. Et puis, progressivement, des rédacteurs en chef, des personnalités m’ont interpellé, m’ont proposé aussi d’intégrer des cercles de réflexion et de participer à des colloques, à des réunions, à des comités de travaux, et aussi à des réflexions institutionnelles sur le métier d’aide-soignant.
Et donc, j’ai pu avoir cette chance d’être au contact d’une diversité de professionnels, qui sont à la fois décideurs ou professionnels de terrain. La valorisation du métier d’aide-soignant me paraissait essentielle et je trouvais qu’il fallait saisir cette opportunité, qui m’était offerte, de mettre en lumière le métier de soignant.
À mon sens, il n’est pas inconnu. Tout le monde connaît le métier d’aide-soignant, d’autant plus maintenant avec la crise COVID. Pour autant, je pense qu’il est mal connu, parce qu’on l’étiquette souvent sous la fameuse mention « tâches ingrates ».
La maladie et toutes ses nuances, c’est quelque chose qui reste assez tabou en France. Et donc, le métier d’aide-soignant suit un petit peu cette dynamique-là.
Tout ce qui fait appel à la vieillesse est mal perçu, dans une société de la « réussite du beau ». Nos vieux sont absolument mal représentés et par là-même tout ce qui gravite autour d’eux. De ce fait, les aides-soignants, qui constituent un des maillons des professionnels du « prendre soin » dans le cadre du « bien vieillir », sont aussi associés à toutes ces représentations sociales négatives.
 
Donc pour moi, il y avait un enjeu, celui de montrer qu’on pouvait tout à fait s’épanouir en tant qu’aide-soignant ! Et qu’on pouvait tout à fait avoir un avis, une expertise et une réflexion, pour l’avenir sur la fonction d’aide-soignant. Je voulais montrer aussi qu’on pouvait être tout autant investi que des décideurs qui avaient fait de grandes études dans nos grandes écoles françaises qui leur donnaient la légitimité de s’exprimer sur un sujet qu’ils ne connaissaient pas.
Le métier d’aide-soignant ne se pense pas, il se vit, mais notre expérience de terrain doit être prise en compte.
 
Maxime
C’est vrai qu’une expérience de terrain est pour moi essentielle.
Du coup, je serai assez curieux d’avoir ton avis sur l’élan de solidarité qu’il y a eu lors de la première vague de la crise COVID en mars 2020, où on avait l’impression que les soignants étaient portés par la société, ce qui s’est essoufflé, disons, une fois la première vague passée. Comment as-tu ressenti cela ? D’une part, cette montée en puissance de l’engouement envers les soignants et ensuite cet oubli et le retour aux conditions qu’on avait auparavant ?
 
Alexis
L’élan de solidarité qui a été orienté vers les soignants lors de la première vague, quelque part, c’était très normal dans la mesure où, lorsque la peur s’immisce dans notre quotidien, on se rattache à ce qui peut donner de l’espoir et en l’occurrence, lors de la première vague, seuls les soignants et les professionnels de « première ligne » incarnaient cet espoir.
Et on le voyait bien dans les médias :
La parole et le quotidien de chacun étaient suspendus aux conférences de presse des scientifiques et des politiques. De toute évidence, une fois que l’espoir revient, on oublie un peu tous ceux qui ont incarné cet espoir en se disant que « c’est bien normal qu’ils le fassent, après tout, c’est leur vocation ».
Le mot « vocation » est quelque chose qui revient de plus en plus dans les débats. Et, je pense qu’il faut aussi militer pour abolir cet emploi suranné, d’un terme religieux qui n’est plus d’actualité, puisqu’en tant que personnel soignant, comme j’ai loisir à dire, je n’ai pas reçu de visites mystiques pour me dire que j’allais devenir aide-soignant, et je ne porte pas de soutane.
Personnellement, cette vocation, je n’y crois plus. Et donc, fermer les yeux sur les professionnels de santé, en fait, c’est les enfermer derrière la vocation. Parce que, dire qu’on a la vocation, c’est dire qu’en fait, on fait ce métier-là parce qu’on l’a bien voulu, on l’a choisi et que si c’est difficile, après tout, nous n’avons qu’à changer de métier. Et c’est ce qui se passe un peu dans les mentalités à l’heure actuelle.
 
Mais, on a une relation très paradoxale avec nos soignants en France, celle d’un amour et pas d’une haine, puisque lorsqu’on interroge les Français, on s’aperçoit quand même que les Français aiment leurs soignants. Mais il s’agit d’une relation d’amour et de honte au quotidien.
 
Maxime
Je partage vraiment ton avis sur le mot « vocation » qui, pour moi, devrait être facilement remplacé par « passion ». Je pense que les métiers du soin sont des métiers de passion ! Et effectivement, même avec la passion, on ne sous-entend pas qu’on est prêt à tout accepter en termes de conditions de travail. On est là pour notre prochain et pour l’envie de prendre soin des autres, mais il faut malgré tout comprendre que cela reste un métier, et que les soignants aussi ont besoin de se nourrir, ont besoin d’avoir du temps pour leur famille, et pour moi cela a vraiment besoin d’être mis en avant.
 
Revenons à tes études actuelles, tes études d’infirmier, comment tu te sens en tant qu’étudiant en reconversion ? Est-ce que tu as l’impression d’être à armes égales avec les autres personnes de ta promotion, qui parfois sortent du bac, qui parfois font une reconversion professionnelle qui est complètement différente du métier qu’ils pouvaient exercer auparavant… Comment te représentes-tu ces changements ?
 
Alexis
Alors déjà, c’est vrai que ça a été assez compliqué de tisser du lien entre camarades de promotion avec les conditions que tout le monde connait, puisque ça fait presque plus d’un an que nous vivons l’Enseignement à distance.
Au début, puisqu’on a quand même été rassemblés cependant 4 ou 5 mois, je trouvais qu’en fait, tout le monde avait quelque chose à apporter, y compris des bacheliers qui n’avaient pas d’expérience professionnelle, mais qui avaient par contre une certaine fraîcheur à nous apporter, une fraicheur que l’on a un peu perdue lorsqu’on a travaillé quelques années.
Il est vrai qu’il y a une forme de routine qui s’installe et tu es beaucoup moins étonné de certaines choses. Tu regardes les choses avec un peu plus de maturité, ou avec une habituation que le bachelier n’a pas, puisqu’il n’a jamais travaillé, donc pour lui tout est nouveau.
Cela m’offre aussi un positionnement plus facile à adopter au sein d’une équipe de soin, parce que pour avoir eu des élèves et des étudiants, je sais aussi ce que les équipes peuvent attendre de nous… et avoir horreur de nous. Pour autant, j’apprends vraiment un autre métier, ce qui fait que ça me place à peu près sur le même rang que les autres.
Et mon expérience d’aide-soignant leur est profitable, mais leur expérience de bachelier est également vraiment profitable. C’est un échange de bons procédés !
 
Maxime
Donc on est dans un cercle vertueux, c’est merveilleux ! Au cours de ta carrière, est-ce qu’il y a un moment marquant ou une anecdote marquante que tu as vécue et que tu aimerais partager ?
 
Alexis
Alors là tu parles à un pro de l’anecdote ! Des petites histoires, j’en ai des centaines, elles sont un peu comme le sel du quotidien et rythment nos journées. Elles nous permettent parfois de décompresser aussi. De façon plus générale, je dirais qu’avec mes camarades frères d’armes blessés, j’ai gardé des souvenirs forts et durables parce que je les ai quand même souvent accompagnés sur leur chemin de résilience.
 
Et puis, des moments marquants qui font aussi partie des anecdotes, c’est tout ce qui constitue les éléments de ma carrière au sein des armées. Et c’est vrai que cette opération Tamarin, en Guinée-Conakry, laissera une empreinte personnelle et professionnelle assez forte.
Des anecdotes types, j’en ai plein mais je n’ai pas envie de faire de jaloux. J’en ai vraiment dans tous les domaines, y compris sur l’aspect marrant, humoristique, et à l’inverse d’autres un peu plus triste, voire dramatique… qui sont aussi des anecdotes qui constituent le soignant que je suis. Parce qu’on est accompagné de nos réussites, mais on est aussi accompagné de nos échecs.
 
Maxime
Oui, je suis bien d’accord. Du coup, effectivement, ça prendrait des heures de faire le point sur toutes tes anecdotes… Pour partir sur un autre sujet, qu’est-ce qui t’a donné envie quand tu étais plus jeune, de rentrer dans les métiers du soin ?
 
Alexis
Après, la classe de troisième, je me suis tout de suite dirigé dans une orientation scolaire qui préparait aux métiers du soin. J’ai fait un BEP Carrières Sanitaires et Sociales et ensuite, je me suis dirigé sur un bac technologique. Et j’ai présenté tout de suite le concours Aide-soignant en 2011. Donc, dès le collège, j’avais déjà à peu près une idée fixe sur ce que je voulais faire.
J’ai des soignants autour de moi dans mon entourage, mais en fait, tout naturellement, ça s’est construit comme ça sur les bancs du collège, en discutant et en regardant un peu ce qui se passait autour de moi.
Je dois beaucoup, du coup, aux enseignants du lycée pro et du lycée techno, pour les conseils, puisque quelques-uns étaient soignants eux-mêmes. Et ce sont eux qui m’ont finalement dirigé selon ce que je pouvais proposer, selon certainement ce que je donnais aussi au quotidien en cours, et qui m’ont orienté tranquillement vers la voie étudiante.
 
Maxime
Il est vrai qu’au collège et au lycée, je pense qu’on a du mal à se projeter dans sa vie professionnelle et donc, avoir l’aide de parents et professeurs, ça peut être assez pertinent.
Si tu pouvais revenir en arrière et échanger avec le « toi » que tu étais quand tu avais 16/17 ans, qu’est-ce que tu aimerais te donner comme conseil ?
 
Alexis
Ne change rien ! Lorsque j’avais 16/17 ans, je n’avais jamais imaginé accomplir toutes ces choses. Et je crois que ce qui me sauve un peu tous les jours, c’est de conserver une part de naïveté vis-à-vis des opportunités qui se présentent à moi. Donc je dirais à l’Alexis adolescent, de rester un brin aventureux et de rester aussi hors des sentiers battus.
 
Maxime
Et pour les jeunes soignants ou futurs soignants qui nous écoutent, qu’est-ce que tu aimerais leur donner comme conseils ?
 
Alexis
Je donnerais trois conseils qui sont finalement très complémentaires, à toutes celles et ceux qui veulent devenir soignants :
– Le premier, c’est celui du discernement. Chaque année, je me réjouis que la formation en soins infirmiers soit la plus demandée sur Parcours Sup. Mais finalement, combien d’étudiants obtiennent le sésame et/ou abandonnent avant l’heure en découvrant une réalité qui peut, parfois, être douce/amère ? … Donc, en fait, je dirais que pour devenir soignant, il faut d’abord savoir qui l’on est et où l’on va.
Il faut regarder les métiers du soin sans les fantasmer et en ayant conscience des difficultés.
Et il ne faut pas choisir les métiers du soin pour se résoudre personnellement ou faire le deuil de qui que ce soit ou quoi que ce soit.
Et puis, on ne choisit pas non plus les métiers du soin pour avant tout faire du business. Ce n’est pas incompatible, mais ça ne doit pas être la motivation première d’un soignant.
– Le deuxième conseil, c’est celui de la volonté d’engagement. Oublions cette idée de la vocation ! Ça n’existe pas. Un professionnel de santé, c’est un expert du soin qui engage des compétences pour l’autre. Rien de plus, rien de moins.
– Donc, par conséquent, ça fait le lien avec mon troisième conseil, qui est d’avoir à l’esprit qu’il faut garder l’équilibre vie privée/vie professionnelle. C’est un exercice assez délicat, qu’il faut apprivoiser dès le début, afin de rester fidèle à son engagement premier de soignant. Parce que le professionnel de santé, c’est d’abord quelqu’un qui prend soin de soi afin de mieux prendre soin des autres.
 
Maxime
Très bien, c’était vraiment de merveilleux conseils pour les jeunes soignants qui nous écoutent.
On arrive à la fin de cet épisode. J’aurais une dernière question pour toi : Si tu devais résumer ton parcours ou ta carrière à venir, qui est très prometteuse, quel mot tu choisirais pour la définir ?
 
Alexis
Incertitude ! Car comme dirait Alain Séjourné « Sans l’incertitude, l’aventure n’existerait pas ».
 
Maxime
Super, « incertitude » c’est merveilleux comme mot de la fin.
Merci beaucoup Alexis pour tes paroles, ton témoignage, et surtout ton implication vis-à-vis du monde soignant. Je te dis à bientôt.
 
Alexis
À bientôt !