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Entretien avec Catherine, infirmière en poste avancé dans le Grand Nord

Et puis, au fur et à mesure de la journée, il a commencé à s’impatienter. On a essayé de lui parler, de calmer les choses, jusqu’au moment où arrivé à 40 minutes de Montréal, il s'est levé dans l'avion [...] et là, il m'a dit en anglais : « Bon bah, puisque c'est comme ça, moi je saute de l’avion ».

Maxime
Hello Catherine.
 
Catherine
Bonjour Maxime.
 
Maxime
Tu nous parles depuis l’autre côté de l’Atlantique… Je vais te laisser te présenter et puis, on va pouvoir échanger sur ton parcours, qui est un peu atypique et hyper intéressant !
 
Catherine
Tout d’abord, merci pour l’invitation ! Ça fait trois ans et demi, à peu près, que j’habite à Montréal. J’ai franchi l’Atlantique pour venir expérimenter les soins ici, qui sont pas mal différents. Même si le métier reste le même, les soins, la vision des soins est quand même très différente par rapport à la France.
J’ai repris mes études à 27 ans. J’ai obtenu le diplôme d’infirmière en 2014 et en sortant de l’école, j’ai été embauchée dans un centre de traitement des grands brûlés, un gros centre de réanimation sur Metz.
Je suis restée trois ans là-bas en sortant de l’école et au bout de trois ans, je me suis dit que j’avais probablement des choses à proposer de l’autre côté de l’Atlantique. Alors j’ai postulé dans un hôpital québécois et puis j’ai fait des démarches en même temps concernant l’équivalence de diplômes et l’inscription à l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec.
 
Maxime
Super ! Et du coup, tu peux nous parler un peu du fonctionnement de l’Ordre, comment ça se passe au Québec ?
 
Catherine
Alors ici, la profession d’infirmier/infirmière est une profession très puissante qui représente, en termes de nombre de membres, quelque chose qui est plus important que l’Ordre des médecins, c’est-à-dire que c’est le plus gros Ordre professionnel du Québec.
 
Maxime
D’accord. Et, tout d’abord, pour revenir un peu au début de ta carrière : qu’est-ce qui t’a donné envie de rentrer dans le monde du soin ?
 
Catherine
J’ai toujours eu un pied dans le soin. J’ai été 10 ans secouriste pour une association qui était sur Metz, où à l’époque, on faisait beaucoup de formations. Bien plus que maintenant, où on a tendance à ne plus vraiment former les secouristes parce qu’on considère que c’est trop compliqué. J’ai été pompier volontaire également.
 
Et puis un jour, tout ça s’est arrêté. Je n’avais plus le temps d’être secouriste. Je n’avais plus le temps d’être pompier. Je faisais quelque chose qui était complètement différent puisque j’étais assistante décoratrice pour des sociétés de production de cinéma.
 
Et c’est là que le manque a commencé à se faire sentir, mais je ne l’ai pas identifié tout de suite. C’est un jour où sur un tournage, je me suis presque cassé le nez. J’ai été à l’hôpital et puis aux urgences, c’est comme si ça m’était tombé dessus. J’ai vu les équipes médicales, l’infirmière, le contexte, et j’ai dit « mais c’est ça qu’il faut que je fasse, en fait je ne suis pas du tout au bon endroit ». Je dois être là ! Pas physiquement au sein des urgences ici même mais, il faut absolument que je sois dans le soin. C’est ça qui me manque.
 
Et alors là, j’ai pris du temps pour préparer le concours d’infirmière. Je me suis renseignée. Puis, quelques mois après, j’ai passé les concours. Et c’est comme ça que ça a commencé.
 
Maxime
Comment tu te représentais le métier avant de te lancer dans les études d’infirmier/infirmière ? Et est-ce que cette représentation était la bonne quand tu es arrivée sur le terrain ? Ou bien est-ce que tu as été surprise par ce que tu découvrais ?
 
Catherine
Pour la vision du métier en tant que tel : oui, c’était quand même sensiblement l’idée que je m’en faisais. Ce qui était très différent, c’est l’entrée dans les services. C’est-à-dire que l’on se représente un fonctionnement dans le métier, mais l’endroit où on l’exerce change vraiment le métier en lui-même. J’ai eu la chance de faire des stages dans des endroits un peu insolites, notamment en deuxième année d’école où j’ai effectué un stage au SMUR de Cayenne, en Guyane.
 
Maxime
Ah super, tu peux nous en parler un peu ?
 
Catherine
Oui, bien sûr ! En fait, c’était un stage de cinq semaines, qui était donc à l’hôpital de Cayenne (la grosse ville, entre guillemets, de Guyane).
 
Au début, il y a une feuille à suivre et ils demandent de connaître tous les protocoles du service du SMUR, avec tout le matériel, tous les médicaments qu’ils utilisent, etc., ce qui est énorme quand on n’est qu’en deuxième année.
 
Il faut donc s’approprier rapidement tout ce fonctionnement « de base », plus tout le fonctionnement de la Guyane, de Cayenne. Parce que c’est sûr que c’est un territoire français, mais c’est l’Amérique du Sud, donc les problématiques de santé ne sont pas du tout les mêmes. Le rapport aux gens n’est pas du tout le même non plus. C’est extrêmement enrichissant de travailler là. En termes de sortie de zone de confort, on ne fait pas mieux, je pense. Et c’est l’occasion aussi de pouvoir travailler au contact de différents types de population, y compris les pays voisins, qui n’hésitent pas à franchir la frontière pour un tas de raisons différentes, y compris pour accoucher, par exemple.
Puis, à la suite de ça, j’ai commencé à faire des interventions terrestres et au bout de deux semaines, j’ai eu le droit de faire des interventions héliportées pour aller dans les dispensaires de forêt profonde. Pour, entre autres, rapatrier les gens mais pas uniquement parce que j’ai aussi été sur une plateforme pétrolière en hélicoptère.
 
C’était vraiment fou et c’est là que j’ai eu la piqûre du vol et des soins aéroportés. C’est pour ça qu’ici au Québec, plus tard, j’ai travaillé pour une entreprise qui fait de l’évacuation aéro-médicale et du transport aérien à travers tout le Québec. J’ai fait ça une année, c’était vraiment chouette aussi mais je faisais ça dans des petits avions de brousse.
 
Maxime
Et ça se passait comment du côté du Canada, quand tu prenais l’avion ? C’était pour quel type de pathologie ou d’urgence ? Et comment se déroulaient les vols et ce qu’il y a autour du soin dans l’avion ?
 
Catherine
Alors déjà, c’était des Pilatus PC 12 qui sont de tout petits avions. On ne tient pas debout à l’intérieur de ces avions, mais en revanche, ils ont une capacité « tout terrain » au sol. C’est-à-dire qu’ils ont besoin de peu de distance pour atterrir ou décoller, et qu’ils peuvent même atterrir sur des graviers, ce qui est très pratique.
Il y avait plusieurs types de missions pour l’entreprise pour laquelle je travaillais, et notamment l’évacuation aéro-médicale. On avait une base à Montréal et une base à Sept-Îles, qui est une ville à 900 kilomètres de Montréal, sur la Côte-Nord le long du fleuve Saint Laurent. Et on desservait les dispensaires de la Baie James, sur la Côte-Nord, donc avec les populations cries et innues. Ces populations sont prises en charge par le gouvernement du Québec et notamment quand ils ont besoin de soins qui nécessitent une évacuation car on ne peut pas vraiment leur apporter de soins aigus, ils sont évacués dans d’autres villes un peu plus grosses.
 
Donc, on était appelés, à toute heure du jour et de la nuit, et on allait chercher ces gens-là dans les dispensaires pour les ramener dans des villes qui sont en mesure de les diagnostiquer, puis de les soigner.
Et puis évidemment, par-dessus ça, il y a la composante climatique et météorologique qui n’est pas négligeable. Parfois, au mois de septembre, il fait 15 degrés à Montréal, puis on arrive là-bas et il fait déjà -25°C. On parcourait des distances énormes mais ça fait partie du côté « exotique » du métier, même si c’est dans le Nord. Cela me rappelait d’ailleurs la Guyane.
 
Maxime
Donc, c’est juste la météo qui change ?!
 
Catherine
C’est ça ! La météo et puis aussi, ce sont des problématiques de santé particulières qui sont inhérentes à cette population-là.
Donc, on avait ces missions-là et on avait aussi les missions qu’on appelait la « Navette de l’Ouest », qui consistait à prendre l’avion cinq jours par semaine et faire des allers-retours entre Montréal et toute l’Abitibi, la région à l’ouest du Québec (qui est frontalière avec l’Ontario).
 
Et puis, on faisait des allers-retours avec des gens plus ou moins stables qu’on emmenait vers Montréal pour des consultations spécialisées et des opérations. Et il y avait son lot de d’imprévus, évidemment, avec la responsabilité supplémentaire de « Est-ce que j’embarque avec ce patient ou pas ? Car après, on devait rendre des comptes si jamais ça tournait mal dans l’avion.
 
Maxime
Parce que quand tu pars comme ça, tu es seule infirmière à bord avec le patient ?
 
Catherine
Alors quand je pars en tant que « Medevac », je pars toujours avec un ou une inhalothérapeute. Les inhalothérapeutes, c’est quelque chose qui n’existe pas en France. C’est entre l’infirmière et un infirmier anesthésiste : c’est quelqu’un qui va s’occuper uniquement des problèmes des voies respiratoires !
 
Maxime
Est-ce qu’il arrive des moments où il y a une décompensation pendant le vol ou un problème qu’on n’avait pas anticipé ? Et si ça arrive, comment tu peux réagir à ça ?
 
Catherine
Je te dirais qu’en amont du problème en vol, nous, on a une formation qui est une accréditation canadienne de soins aéroportés.
Il y a ça et il y a aussi que l’on a la possibilité de demander aux pilotes des restrictions. On peut par exemple demander une restriction de cabine de manière à ce que l’altitude soit le moins possible un problème pendant le vol.
 
Ensuite, on a les protocoles dans l’avion : on a quand même une marge de manœuvre qui est plus grande. Et en dernier recours, on a un téléphone satellite avec un médecin de garde que l’on peut joindre et lui dire « au secours, qu’est-ce que je fais maintenant ? ».
 
Dans ce métier, il y a beaucoup de systèmes D. Mais effectivement, une fois qu’on a accepté d’embarquer le patient, ça devient complètement notre responsabilité. Et si ça tourne mal, et c’est déjà arrivé, c’est : « pourquoi tu as accepté de le prendre ? » ou « pourquoi ne pas appeler avant ? » Et « pourquoi-ci ? Pourquoi ça ? ». Et là, il faut être sûr de soi et sûr des décisions que l’on a prises.
Parce qu’on me demandait aussi des comptes quand je refusais d’embarquer un patient car j’estimais que c’était dangereux.
 
Maxime
C’est intéressant parce que ça montre qu’effectivement, la manière de travailler à l’étranger est bien différente, parce qu’en France, on ne laisse pas autant de pouvoir de décision aux infirmiers, ce qui est bien dommage.
Mais en fait, dans toutes ces différentes expériences que tu nous as décrites, qu’est-ce qui te fait profondément vibrer dans le fait de sortir des sentiers battus et d’aller dans un avion dans le Grand Nord canadien ? Pourquoi ne pas rester dans un service de réanimation en ville où c’est aussi actif ? Qu’est ce qui t’attire dans ces domaines-là ?
 
Catherine
Alors, justement, je suis retournée à l’hôpital. J’y suis retournée au moment où a commencé la pandémie. Je travaillais pour l’entreprise d’évacuation aéro-médicale et je participais au transfert de patients en soins intensifs depuis des petits hôpitaux vers les plus gros, qui étaient plus spécialisés dans les défaillances respiratoires. Mais j’avais l’impression de ne pas assez apporter ma pierre à l’édifice dans cette période-là !
Donc, j’ai quitté l’entreprise pour laquelle je travaillais, et j’ai postulé pour la réanimation dans laquelle je travaille maintenant, qui est une réanimation polyvalente et axée essentiellement sur les traumas.
 
J’ai décidé de travailler en milieu hospitalier aussi parce que ça faisait partie des spécialités que je n’avais pas encore explorées. Puisque j’ai fait de la réanimation de grands brûlés en France, et ensuite, quand je suis arrivée ici, j’ai fait un stage d’adaptation pour l’Ordre qui, à l’époque, exigeait que les infirmières fassent un stage d’adaptation en médecine ou chirurgie avant d’avoir un permis d’exercer « permanent » qui permet de travailler dans ce qu’on appelle les soins critiques. Donc j’ai fait mon stage et ensuite, j’ai été travaillé dans le Centre hospitalier universitaire de Montréal.
 
Il y avait toujours pleins « d’imprévus » et « d’inattendus », des patients très différents, des contextes très différents aussi. C’est vraiment ce qui me plaît et c’est pour ça que je cherche toujours à sortir des sentiers battus !
C’est donc pour ça que je vais toujours voir un peu ailleurs et que j’essaie de trouver des expériences que je n’ai pas encore.
 
Maxime
Effectivement, la peur de l’ennui et de la routine dans les services, je comprends parfaitement de quoi tu parles. Dans les services un peu plus « conventionnels » comme ceux dans lesquels tu travailles actuellement, tu vois des grandes différences par rapport à ce que tu as pu connaître en France en termes de moyens techniques, d’organisation ou autres ?
 
Catherine
Oui, il y a indéniablement une grosse différence, et à plein d’égards.
 
Nous, « techniquement », le patient en France, on le stabilise et ensuite on l’amène à l’hôpital. Ici, ça n’existe pas parce que le médical et le paramédical ne sortent pas de l’hôpital. Donc, c’est déjà une grosse différence.
Ensuite, je dirais qu’il y a une grosse différence académique. Quand ils sortent de leurs études ici, ce sont des gens qui sont extrêmement académiques, qui ont énormément de connaissances et qui sont capables de faire beaucoup de liens. Ils sont extrêmement instruits, mais à côté de ça, ils sont très encadrés en service quand ils font leur stage… ce qui ne les aide pas forcément.
 
Nous, quand on arrive de France où on a souvent été un petit peu envoyés d’un service à l’autre, ce qui est très formateur et eux bénéficient peut-être du fait l’on ait beaucoup de connaissances (que l’on apprend sur le terrain). Il y a une espèce d’équilibre qui se fait entre eux et nous.
 
Maxime
Alors j’imagine qu’il y a des choses effectivement différentes. Peut-être que certaines sont mieux au Canada et d’autres mieux en France… Mais est-ce que ça, c’est dû, pour toi, à plus de moyens financiers ou c’est simplement une question organisationnelle et culturelle ?
 
Catherine
Je pense que ce sont les deux ! Indéniablement, il y a beaucoup plus d’argent ici pour les infirmières. Même si, au regard du Canada, le Québec est la province qui paye le moins bien les infirmières. Mais il faut que « le moins bien du Québec » soit toujours beaucoup mieux que la France.
Alors, par contre, le coût de la vie n’est pas le même non plus. Mais c’est vrai qu’ici, par exemple, j’ai un niveau de vie que je n’aurais pas eu, même en fin de carrière en France… À moins de faire des choses très spéciales, puis d’avoir certaines opportunités ou de travailler chez Mediflash d’ailleurs.
 
Disons en fait qu’ici, il y a beaucoup plus d’argent, c’est sûr, pour les infirmières et pour la formation. Mais à côté de ça, ce sont des formations qui leur coûtent cher ! Car les études sont payantes et pour avoir un diplôme d’infirmier complet, il faut quatre ans d’études. Mais, à ce moment-là, ils ont un diplôme « de base », entre guillemets, qui fait qu’ils sont infirmiers. Mais s’ils veulent le statut d’infirmier le plus haut, qui est infirmier clinicien, ça leur reprend encore deux ans d’études en plus. Avec la première partie ils peuvent exercer, mais ils n’ont pas la reconnaissance financière et ils n’ont pas certaines responsabilités.
Nous, en tant que Français, il y a une entente entre le Québec et la France qui reconnaît notre diplôme comme un bon diplôme. Car, je tiens à le dire, on est bien formés en France ! Et on est bien accompagnés dans les services, même si parfois ce sont des services difficiles et qu’on apprend dans la douleur. C’est extrêmement formateur et lorsque l’on arrive dans les autres pays, ça se voit. C’est pour ça qu’on est recrutés aussi à l’étranger, parce qu’on a vraiment des choses à proposer.
 
Maxime
Effectivement, en France, les infirmiers ont une formation de trois ans. Et depuis peu, il y a effectivement cette partie d’infirmier clinicien qui rajoute deux ans d’études, qui a été largement inspirée de ce qui se fait au Canada.
Pour revenir sur ta carrière, qui a été hyper riche, est-ce que tu aurais une anecdote qui a été marquante pour toi, et que tu aimerais nous partager ?
 
Catherine
J’en ai une qui s’est passée il y a un an à peu près. Je transportais plusieurs patients dans l’avion et notamment, j’avais un patient que je rapatriais à Montréal pour un suivi psychologique, parce qu’il avait fait une tentative d’homicide sur quelqu’un de sa famille et il avait des pensées suicidaires. Donc une personne avec un contexte très lourd, mais sous traitement.
En général, ces gens-là sont transportés sous surveillance policière, mais là, ce n’était pas le cas. Puis, dans le rapport qu’on avait eu la veille, ça nous disait que le patient était coopérant aux soins et qu’il était calme. On m’avait dit « tu vas l’évaluer, puis tu verras bien si tu le fais monter dans l’avion ou pas ». Sauf que c’était un vol qui était long parce qu’on était sur la navette de l’Ouest et on faisait des allers-retours entre les villes et il y avait beaucoup d’autres patients dans l’avion. Quand on est venus le chercher, je l’ai évalué. Puis j’ai pesé le pour et le contre et j’ai décidé de le prendre dans l’avion car il était tout à fait apte à voyager à ce moment-là. Et puis, d’après les informations que j’avais avant d’ouvrir le dossier, c’était la chose à faire.
 
De toute façon, c’est quelqu’un qui nécessitait des soins, donc il n’y avait pas de raison que je refuse de le prendre, a priori. Seulement, c’est un patient qui avait aussi beaucoup d’autres antécédents. Et puis, au fur et à mesure de la journée, il a commencé à s’impatienter dans l’avion. On a essayé de lui parler, de calmer les choses, jusqu’au moment où arrivé à 40 minutes de Montréal, il s’est levé dans l’avion (dans lequel cela ne se fait pas parce que c’est un tout petit avion). En se levant, c’était une montagne, et là il m’a dit en anglais : « Bon bah, puisque c’est comme ça, moi je saute de l’avion ». Alors, on lui disait qu’il fallait plutôt rester assis et pas essayer de sauter de l’avion en plein vol… parce que ce serait dangereux pour tout le monde. Dans ces cas extrêmes, il faut penser vite et de manière adéquate.
Donc, il était entre ma collègue et moi, parce qu’en général, ces patients-là, on les assoit loin de la porte. Mais « loin de la porte », dans un petit avion comme ça, ce n’est pas si loin quand même…
S’il avait voulu être violent, vraiment, on aurait probablement passé un sale quart d’heure. Toujours est-il que je lui ai parlé et je ne l’ai pas touché. J’ai essayé de répondre au mieux à ses demandes, tout en essayant de respecter quand même les prescriptions médicales. Et puis, il a fini par se rasseoir, même par se rattacher.
Une fois qu’il a été rattaché, j’ai pris les écouteurs et j’ai dit à mes pilotes qu’il allait falloir ne plus prendre les « petites routes touristiques » et aller directement vers Montréal, parce que je ne suis pas certaine qu’on tienne encore une demi-heure comme ça.
Alors après, du côté des pilotes, ils demandent une priorité absolue sur l’aéroport. D’autant plus que l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau est un gros aéroport à Montréal, il y a beaucoup de vols. Même si en tant que Medivac on a toujours la priorité, là il fallait qu’on ait la priorité absolue. Donc, on a frôlé le « Mayday » parce qu’on était vraiment mal partis avec ce patient. On l’a maintenu au bout du bout et les pilotes sont rentrés au plus vite en ligne droite. Ça s’est bien terminé, mais ça a été intense comme moment… et puis après, il a fallu que je rende des comptes aussi.
 
Maxime
Et oui, toujours les explications et le suivi… J’imagine que la question est compliquée mais, si tu devais retenir un seul « grand moment » de joie de ta vie professionnelle, ce serait lequel ?
 
Catherine
Je dirais quand je travaillais chez les grands brûlés ! On avait eu un patient avec des brûlures pas très étendues dans l’absolu, quelques brûlures superficielles sur les bras, mais pas quelque chose qui aurait vraiment dû engager son pronostic vital… Et pourtant, ça a été le cas !
Il a été très malade, il est vraiment passé proche de la mort. Il y a eu un moment même où on s’est dit « mais on ne peut plus rien faire pour lui ». Et puis finalement, ça a tourné du bon bord et il s’en est sorti avec peu de « souvenirs » !
 
Maxime
C’est effectivement, des petites anecdotes comme ça qui font que l’on adore ce métier, que l’on ne changerait pour rien au monde.
Si tu pouvais remonter un peu dans le temps et te rencontrer, toi, à l’âge de 16/17 ans, quels conseils tu aurais envie de te donner ?
 
Catherine
Je pense que c’est ce que j’ai toujours fait jusqu’à maintenant, mais je me dirais de rester fidèle à moi-même, de ne pas me laisser décourager par les aspects difficiles de ce métier. Ils sont à prendre en compte, indéniablement, mais je suis contente d’avoir repris des études à 27 ans. Parce que j’ai fait d’autres choses avant et je n’aurais pas été capable d’être infirmière avant pour être tout à fait honnête. Pas en tout cas de la manière dont je souhaitais et que je souhaite maintenant exercer mon métier. Tout est finalement cohérent quand on a la foi dans ce qu’on fait, quand on s’écoute ! Je me dirais donc de me faire confiance et que ça va bien se passer.
 
Maxime
Donc tu te rassurerais. Et si tu pouvais t’adresser directement aux jeunes générations, qu’est-ce que tu leur dirais pour les inciter à rejoindre les métiers du soin ?
 
Catherine
Je pense que, quand on a de bonnes raisons, quand on a vraiment envie de faire ça : il faut y aller ! Il ne faut pas se laisser décourager par le contexte social. Rien n’est fait pour être statique ou pour durer. Les conditions de travail changent, les gens changent, les fonctionnements changent, et particulièrement en ce moment.
 
Mais, je dirais aussi qu’il y a quelque chose qui est important à prendre en compte : c’est à quel point la gestion de la soi-disant « bonne distance professionnelle », peut mettre des bâtons dans les roues. Selon moi, il n’existe pas de « bonne distance professionnelle ». Le but d’un soignant, ce n’est pas de s’éloigner des gens, pas de mettre une barrière entre les gens… C’est normal de ressentir des choses, on est des êtres humains !
 
On est absolument créé et fait physiologiquement pour ressentir des émotions. C’est illusoire d’avoir enseigné pendant des années une distance professionnelle. Il en résulte que l’on résiste, on lutte pendant des journées de 8/12 heures… pour finalement rentrer chez soi complètement sur les nerfs parce qu’on a passé notre journée à lutter.
Alors, évidemment, il ne s’agit pas de s’effondrer dans la chambre avec les patients ou de s’énerver.
Mais il faut se connaître et il faut se reconnaître. Et je dirais d’ailleurs que c’est presque un parcours initiatique ce métier, parce que, pour peu qu’on ait envie de s’explorer, c’est idéal.
 
Maxime
Oui, c’est un très bon enseignement, et ça incite aussi d’ailleurs à passer la main ! C’est une chose dont on parle souvent dans les études d’infirmier : quand c’est trop, c’est trop ! Et il ne faut pas hésiter à s’en remettre à l’équipe et à demander de l’aide.
 
Catherine
Absolument. Il ne faut pas hésiter à parler à son équipe, à dire « non, ce patient-là, ça fait quatre jours que je l’ai, je ne peux plus, ça ne passe pas ». C’est normal et ça ne fait pas de nous des mauvais soignants, au contraire !
 
Maxime
Effectivement, je suis bien d’accord.
J’ai une dernière question pour toi qui va être difficile, je pense, mais si tu devais résumer ton parcours en un seul mot, tu choisirais lequel ?
 
Catherine
Épique !
 
Maxime
C’est parfait, je ne pouvais pas attendre mieux comme mot de la fin.
Merci beaucoup pour ton témoignage et merci de nous donner envie de voyager, entre autres. Ça permet encore une fois de mettre en avant les parcours incroyables qui peuvent exister dans le monde du soin et toutes les opportunités qu’on peut saisir au travers d’une carrière de soignant.
Ça montre aussi que l’on peut sortir des sentiers battus sans trop de difficultés. Donc, merci beaucoup pour ton témoignage et à bientôt !